Le Burkina Faso pays enclavé au cœur de l’Afrique, se retrouve à la croisée des chemins d’une crise foncière. Celle-ci s’exerce autour des grandes villes mais aussi dans des campagnes reculées. Aussi au fil des années, la terre a acquis une grande valeur marchande et cela a favorisé l’essor de sociétés immobilières et de spéculateurs fonciers informels créant ainsi une ruée sur le foncier. Ce qui n’est pas sans conséquences sur le vivre ensemble des populations. Dans la dynamique de mieux maîtriser la gestion du foncier et d’éviter une implosion sociale, le gouvernement a annoncé une relecture de la loi portant promotion immobilière au  Burkina Faso. Le contenu de cet avant-projet ne semble pas faire l’unanimité au sein des promoteurs immobiliers. En effet, lors de l’atelier de validation, certains promoteurs invités ont boycotté la rencontre en signe de protestation. Pour en savoir davantage, nous avons tendu notre micro à Sibouré Guinko, Président de la coordination nationale des experts immobiliers du Burkina. Inspecteur du cadastre, Sibouré Guinko est géomètre expert agréé et assermenté. Pour cet homme bien informé sur les questions foncières au Burkina Faso et qui a pris part à cette rencontre, l’avant-projet de la loi nécessite d’être revue avant son introduction à l’Assemblée législative de Transition, car, dit-il, il y a des passages qui prêtent à confusion.

Présentez-nous la Coordination nationale des experts immobiliers du Burkina ?

Sibouré Guinko : La Coordination Nationale des Experts Immobiliers du Burkina est une association qui regroupe des experts immobiliers agrées au Burkina Faso. Il faut rappeler qu’au Burkina Faso, les experts immobiliers sont regroupés en associations. Il n’y a pas encore un ordre professionnel des experts immobiliers au Burkina Faso. Il y a deux associations à savoir la Chambre Nationale des Experts Immobiliers du Burkina, et la Coordination Nationale des Experts Immobiliers du Burkina Faso.

 Comment se fait la promotion immobilière au Burkina ?

Sous l’ancienne loi notamment la loi 57, la promotion immobilière est associée à la promotion foncière. L’agrément délivré d’ailleurs est intitulé « Agrément pour l’exercice de l’activité de promotion immobilière et/ou foncière ». Cela veut dire que le détenteur de l’agrément avait le choix entre faire de la promotion immobilière ou faire de la promotion foncière ou faire les deux à la fois. C’est ainsi que la plus part des sociétés immobilières ont choisi de faire de la promotion foncière, c’est à dire vendre des terrains à bâtir. D’autres sociétés ont opté par contre de vendre des terrains à bâtir et construire des logements. Dans tous les cas il y a des autorisations préalables à obtenir pour l’exercice légale de l’activité. Il s’agit entre autre de l’agrément de promotion immobilière et/ou foncière, de l’approbation du projet immobilier, du titre foncier principal et de l’autorisation de lotir. Avec le nouveau projet de loi en cours, désormais les deux activités sont séparées. Il est prévu l’activité de promotion foncière exclusivement réservée aux personnes de droit public et l’activité de promotion immobilière réservée aux sociétés privées.

Vous avez pris part à l’atelier de validation de l’avant-projet de la loi portant promotion immobilière au Burkina Faso. Comment cela s’est-il passé?

Effectivement, en tant que Président de la chambre nationale des Experts Immobiliers, nous  avons été invités à participer à l’atelier de validation de l’avant-projet de la loi portant promotion immobilière au Burkina Faso. L’atelier a commencé le vendredi 10 février 2023 à 8 h et nous nous sommes libérés le samedi matin à 2 heures du matin. Dès l’entame, les promoteurs immobiliers ont fait remarquer qu’ils n’ont pas été invités à l’atelier de Koudougou au cours duquel cet avant projet de loi à été élaboré, alors que cet avant projet de loi est censé régir la promotion immobilière dont ils sont les principaux bénéficiaires. En guise de protestation, les promoteurs immobiliers ont décidé de se retirer de l’atelier après avoir déposé un mémorandum critique portant sur le projet de loi incriminé.

Quels sont les reproches faites dans ce mémorandum ?

En résumé le mémorandum des promoteurs remet en cause l’implication et le monopole de l’Etat qui souhaite d’une part distinguer la promotion immobilière de la promotion foncière et d’autre part garder le monopole de la promotion foncière. Pour la séparation des rôles, si les promoteurs sont d’accord qu’il y ait une  séparation entre promotion immobilière et promotion foncière, ils souhaitent que les deux activités restent toujours privées comme dans certains pays comme la Côte d’Ivoire et soumises aux choix des promoteurs. A défaut, si l’Etat tient à garder le monopole de la promotion foncière, qu’il assume aussi toutes les charges y relatives entre autres les charges liées à la viabilisation qui est la tache la plus coûteuse de la promotion foncière.

Un commentaire sur l’avant-projet de la loi ?

Sur cet avant-projet de loi, nous avons observé des changements notables, comparés à l’ancienne loi  en cela que :

– une distinction est faite entre la promotion immobilière et promotion foncière ;

– La promotion foncière est réservée exclusivement à l’Etat, les collectivités et les sociétés d’Etat et consiste à mobiliser le foncier, réaliser l’aménagement des terrains ;

– la promotion immobilière est réservée aux sociétés privées et consiste à construire des logements sur les terrains préalablement aménagés par l’Etat et mis à la disposition des promoteurs immobiliers.

Nous avons aussi relevé des incohérences dont on peut noter :

– le projet de loi entend donner le monopole de la promotion foncière au public et en même temps, l’article 9 met  à la charge des promoteurs immobiliers des tâches de viabilisation qui relèvent de la promotion foncière ;

– l’article 20 donne la possibilité au promoteur immobilier  de mobiliser le foncier par achat pour construire ses logements. Et s’il faut aménager le terrain avant de faire les logements , qui se chargera de cet aménagement, le promoteur immobilier étant interdit de l’aménagement qui relève de la promotion foncière ?

– Des sanctions, généralement, la loi prévoie en son sein des sanctions pour garantir l’application effective de ses dispositions ; Dans le cas de cet avant-projet, nous avons constaté des peines qui ne font pas référence à des dispositions de la nouvelle loi mais l’ancienne pourtant abrogée.  Ces peines viseraient  plutôt l’ancienne loi qui pourtant est censée être abrogée une fois la nouvelle loi adoptée. Et si les peines visent des dispositions de l’ancienne loi, alors la question de la rétroactivité ou du non rétroactivité de la loi pénale se pose ? C’est pourquoi, nous disons que ce nouveau projet de loi gagnerait à être encore plus toiletté pour nettoyer les incongruités et privilégier l’intérêt général.

Quels seront les impacts de cette loi sur les promotions immobilières ?

Pour moi, l’administration publique à travers cette loi veut corriger les dérives occasionnées par l’ancienne loi et dont les responsabilités sont d’ailleurs partagées. C’est pourquoi des dispositions transitoires sont prévues pour vider les instances avant certainement l’adoption et l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Ce projet de loi s’il est corrigé de ses imperfections et incohérences, s’il tient aussi compte des propositions légitimes des promoteurs immobiliers mentionnées dans le mémorandum, nous pensons que ça permettra de réduire  les conflits. En outre le projet de loi  fixe une limite de superficie de 25 hectares, qui en réalité  n’est pas du foncier brut mais du foncier aménagé.  Les 25 hectares aménagés correspondent, dans l’hypothèse qu’il y est dégagé des parcelles de 300 m2, à environ 450  parcelles que le promoteur foncier cède au promoteur immobilier pour la construction de ses logements, soit 450 logements. Vue sous cet angle, le promoteur immobilier appréciera en fonction de sa capacité financière.

Si la nouvelle réforme est adoptée, va-t-elle avoir des répercussions sur le coût des parcelles ?

Si cette loi est adoptée ça veut dire que c’est l’Etat qui fera désormais le lotissement comme cela se faisait avant l’avènement du privé dans la promotion immobilière. Il faudrait donc tirer les leçons des dérives passées au temps où l’Etat était maître des lotissements et s’engager pour une gestion claire et transparente du foncier. En ce qui concerne les prix des logements et des parcelles, à mon sens, il n’y a aura pas grand changement. Vu que ce sont les mêmes procédures que l’Etat devra mettre en œuvre quand bien même il aura le monopole de la promotion foncière. Comme les promoteurs immobiliers, sous la nouvelle loi, l’Etat devra mobiliser le foncier auprès des propriétaires terriens et en payer le prix, purger les droits, établir les titres de propriétés, réaliser le lotissement et la viabilisation. Et les charges d’aménagements ne diminuent pas quand bien même l’identité du promoteur foncier aura changé.

Selon les promoteurs immobiliers, il serait dangereux si l’Etat devenait le détenteur du monopole dans l’immobilier ?

Dans la mesure où ce n’est pas la première fois que l’Etat se charge de l’aménagement, je pense que les acteurs publics ont capitalisé assez d’expériences pour ne pas répéter les mêmes erreurs. Dans tous les cas la veille citoyenne sera alerte pour que la gouvernance foncière ne soit plus comme avant au Burkina Faso, le monopole fut-il privé ou publique.

By Ib_Z

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