Le Burkina Faso se trouve de nos jours à la croisée des chemins en matière de production de coton. Si on se rappelle les années d’or de cette production qui atteignait plus de 700 000 tonnes et faisait occuper la première africaine au Burkina Faso, on peut que dire aujourd’hui que le pays est à la traine. Il peine à se faire compter à se faire compter parmi les grands producteurs en Afrique. En effet, si à l’entame de la saison 2022-2023, il était permis de rêver  à l’amélioration de la production, les attaques parasitaires et la crise sécuritaire vont plomber ce rêve. Au regard des prévisions annoncées, des acteurs de la chaine se questionnent sur l’avenir de leur activité. C’est le cas de la Conception textile africaine (COTEXA). En vue de s’imprégner de l’actualité du secteur, nous avons rencontré le directeur technique de ladite société Ibrahim Sory Traoré. De la production de coton au Burkina, à sa transformation en passant par le projet d’adoption du Faso danfani comme tenue scolaire, ce sont entre autres les questions que nous avons abordées avec lui dans l’interview qui suit.

Présentez-nous brièvement COTEXA

La conception textile africaine (COTEXA) est une unité de transformation de fil d’étoffe. Il faut entendre par fil la matière première utilisée dans le tissage et l’étoffe, la matière utilisée dans la conception de la coupe couture. Pour la coupe couture, il faut entendre par là tout ce qui concerne les tricots, des tee-shirts, des chaussettes, des polos, des sous-corps, et bien d’autres articles qui entrent dans la ligne vestimentaire.

De 2020 à aujourd’hui quel bilan faites-vous de votre jeune unité de production ?

Nous pouvons afficher une grande satisfaction parce que le fil que nous produisons est entièrement consacré à la consommation locale. Les fils de COTEXA sont utilisés par les femmes pour tisser le Faso Danfani. L’autre activité qui est la production de l’étoffe de tricot est également réalisée « le premier tricot made in Burkina » date de depuis 2020 et COTEXA s’est lancé dans la chaine de production en grande quantité.

Le premier tricot 100% Burkinabè, c’est COTEXA qui l’a réalisé depuis 2020. Est-ce que vous arrivez à vous faire une image de marque sur le marché local ?

Concernant ce sujet, il faut savoir que nous avons mis en place une organisation de production de matière en écrue. Il faut entendre par écrue ce qui relève du naturel, c’est-à-dire, l’usage du coton dans son format naturel.

Comment se fait l’acquisition de la matière première pour votre production ?

Il faut dire que COTEXA est partenaire de la Filature du Sahel (FILSAH) qui fait déjà un effort énorme dans la transformation de la matière première en fil. Donc nous recevons de la matière de FILSAH pour les tricots.

De 2020 à aujourd’hui, est-ce qu’on peut dire que vous avez atteint votre vitesse de croisière ?

Pour répondre à cette question, nous allons répondre par le négatif, car en réalité, nous n’avons pas atteint cela d’abord. Cette situation est liée à beaucoup de handicaps. Ces dernières années, la production est faible de fait de la baisse de la production de coton en fibre. Cela a impacté indirectement la production de COTEXA parce que les activités de COTEXA dépendent du niveau de la production cotonnière. Donc lorsque l’on ne reçoit pas suffisamment de matière première, il faut se dire que les objectifs ne peuvent pas être atteints.

Est-ce à dire que vous faites partie de ces unités de production dont la matière première fait des fois défaut ?

A notre niveau, on ne peut pas dire que l’on n’arrive pas à avoir en quantité, mais c’est en fonction de notre cible. Si l’objectif était de 1200 tonnes l’année et que nous en recevons 800 tonnes, nn ne peut pas dire que l’on n’a pas atteint notre cible parce qu’on aura reçu plus de la moitié de la cible. Mais nous n’avons pas atteint la vitesse de croisière.

Est-ce que vos produits sont disponibles pour la grande consommation ?

On peut dire que le produit est disponible à tout le monde. Avec déjà le lancement des sous-corps tout le monde peut l’avoir et à un prix accessible. COTEXA s’est investi pour donner aux Burkinabè un produit de qualité à la portée de tous. Nous sommes en train de préparer les politiques de communication avec les différents acteurs de la chaine. Et ce jour nous pouvons dire que COTEXA est fin prêt pour pouvoir subvenir aux besoins de la masse.

Etes-vous en contact avec d’autres acteurs locaux de la mode?

Je dirai oui, parce qu’il y a plein de couturiers qui nous ont approché. Pour être franc, il faut dire que c’est une innovation au Burkina Faso. La couture du tricot n’est pas aussi facile parce que c’est une autre technologie par rapport à la couture du tissu simple. Nous accompagnons les acteurs parce que nous allons dans notre politique produire environ un million de tricots. Il faut donc associer ces acteurs à travers la formation et les échanges.

Allez-vous confectionner des tricots ou bien allez-vous juste rendre disponibles les étoffes ?

Nous comptons faire les deux parce que l’industrie d’abord, c’est la production de l’étoffe et l’étoffe c’est la matière. COTEXA a des structures partenaires avec lesquels il va mettre sur le marché les différents produits.

COTEXA c’est aussi les fils pour tisserands et autres. Est-ce que vous n’êtes pas en concurrence avec FILSAH ?

Nous ne sommes pas en concurrence avec FILSAH. Il faudrait peut-être parler de complémentarité et d’augmentation de la valeur ajoutée. FILSAH est à 365 km de Ouagadougou et si COTEXA a vu le jour, c’est pour augmenter la valeur ajoutée et créer plus d’emplois. Je crois que dans cette dynamique COTEXA est en mesure de fournir le fil aux régiosn du Centre et du Centre-Est.

Consommons local c’est le leitmotiv des autorités politiques mais aussi des acteurs du domaine du textile. Quel commentaire avez-vous sur le sujet ?

Le Consommons local, c’est bon et bien un joli slogan. Mais nous sommes des acteurs de la transformation. Qui dit Consommons local doit être en mesure de consommer ce qui est produit localement ou de trouver un moyen pour  mettre en place un produit local. Le coton aujourd’hui est l’un des produits de la chaine. Des champs jusqu’à l’égrainage, en passant par la filature et la coupe couture. De là le slogan du Consommons local prend en compte tous les acteurs dans la chaine de production. Aussi nous ne pouvons que saluer toutes les initiatives qui visent à promovoir le Consommons local, au regard de la plus-value qu’elle donne COTEXA s’inscrit entièrement dans cette démarche de Consommons local.

Cette année, il est annoncé une baisse de la production du coton liée à une attaque parasitaire mais aussi à l’insécurité. Est-ce que cela ne va pas impacter vos activités ?

Il y a effectivement une baisse de la production qui est annoncée. Cela peut impacter directement ou indirectement nos activités. Si nous ne pouvons transformer que 25% du coton, il faut savoir que si les politiques sont revues cela ne doit pas poser de problème. Mais s’il y a des antécédents avec la nationale des fibres et textiles et si on ne devait recevoir que 5 ou 10% pour la transformation, il va falloir revoir les clauses.

Depuis quelques années déjà, le pays est en nette régression en matière de production de l’or blanc. Selon vous qu’est-ce qui peut être fait pour remettre le pays sur les rails ?

D’ores et déjà il faut savoir que le pays traverse des moments difficiles. L’impact du terrorisme frappe plus les zones cotonnières. S’il n’y a pas d’acteurs, il faut savoir qu’on ne va pas cultiver du coton. Et quand le coton n’est pas cultivé, les unités de transformation n’auront pas de fibres. Donc, ce qu’il faut déjà faire, c’est chercher des solutions pour que la sécurité revienne et après la sécurité, c’est d’accompagner les coton-culteurs.

Entre l’exportation de l’or blanc et la transformation locale, vous en tant que promoteur d’une unité locale, lequel a plus de valeurs ajoutée ou le plus prolifique ? Quel avantage tire-t-on en transformant le coton localement ?

(Rires) ! Nous en tant qu’acteurs de la  transformation, nous pensons que l’Etat devrait privilégier la transformation locale pour plusieurs raisons. La transformation locale, c’est d’abord la création d’emplois, alors que la population burkinabè est très jeune et 50% à 60% sont des jeunes ont moins de 25 ans. Et en transformant localement nos matières premières, nous créons des opportunités d’emplois pour ces jeunes. Selon les statistiques, la filière coton emploie plus de 200.000 personnes du coton-culteur jusqu’au couturier. Et cela avec seulement 5% de la production nationale. Si on augmentait à 25%, avec les calculs rapides on pourrait voir que plus d’un million de personnes seront concernées par la création d’emplois.

Aujourd’hui, tous ceux qui sont concernés par les dérivés du coton s’inquiètent de la disponibilité de la matière première. Nous faisons allusion au producteur de tourteaux, des unités d’huilerie qui sont entrain de tirer sur la sonnette d’alarme par rapport à cette question. Un commentaire ?

Il faut d’abord aller chercher le problème plus loin. Quand on parle de la question d’insécurité, ce n’est pas lié uniquement qu’aux grandes villes parce que les entreprises se trouvent dans les grandes villes alors que la matière première vient de ces zones attaquées. Donc ce qu’il faut déjà faire, c’est de se donner les mains, encourager les acteurs qui sont sur le terrain pour la lutte, car chacun doit apporter sa pierre pour la construction du pays. Si on n’arrive pas à résoudre ce problème, tous nos projets à venir vont tomber dans l’eau. Donc, nous en tant qu’acteur, nos prières, c’est le retour de la sécurité et la paix dans le pays. Aucun projet ne peut se réaliser tant qu’il n’y a pas la stabilité. Que ce soit les investisseurs, que ce soit ceux du secteur primaire ou secondaire, tant qu’il n’y a pas de la stabilité et la paix, on peut rien faire.

« En tant qu’acteurs de la  transformation, nous pensons que l’Etat devrait privilégier la transformation locale »

Les acteurs du monde de l’éducation étaient en conclave à Koudougou pour discuter de l’introduction au niveau national du Faso danfani comme tenue scolaire. Vous qui êtes dans la filature, comment appréciez-vous cela ?

 D’abord, l’idée est très salutaire et nous sommes déjà fiers que nos dirigeants voient déjà l’importance du consommons local à travers le textile burkinabè. COTEXA et FILSAH ont toujours clamé que nous devrons consommer ce que nous produisons. Nous sommes très heureux que l’on commence par l’éducation car l’impact sera très visible. L’introduire depuis la formation primaire permettra de conscientiser les enfants sur les questions de souveraineté et de développement.  Egalement, il faut savoir que lorsqu’un élève porte une tenue Faso danfani, c’est qu’un coton-culteur a été mis en valeur. Nous saluons déjà l’initiative et notre souhait est que tous les acteurs soient associés à  ce projet. Il ne suffit pas de dire qu’il faut commencer à porter le Faso danfani, mais il faut aller un peu en arrière pour consulter les acteurs par rapport aux difficultés et aux contraintes qu’ils vivent. Si la consommation est autour de 10.000 tonnes et que nous n’arrivons pas à produire 5.000 tonnes, on va toujours dire qu’il y a un manque de fil sur le terrain alors qu’on n’a pas cherché à trouver où se trouve le problème. Nous les appelons donc à associer tous les acteurs au projet et on aura un résultat meilleur.

A vous entendre parler de la disponibilité de la matière première, on a l’impression que vous craignez de ne pouvoir éventuellement satisfaire le besoin ?

Nous, on n’a pas de doute, parce que tout est une question de volonté. Malgré qu’on soit en baisse, on peut compter 300.000 tonnes de file de coton. Et sur ces 300.000 tonnes, on ne transforme que 5%. Si on augmentait la transformation à 10%, je pense qu’il n’y aura pas de problème. Voilà pourquoi je dis que tout est une question de volonté politique.

Si on veut bien vous comprendre, jusque-là, vous ne transformer que 5%. Quelle est donc la part réelle de COTEXA ?

Il faut dire que les 5% représente la production nationale de coton. La part de COTEXA dans ces 5%, c’est d’abord FILSAH. Car c’est elle qui fournit tout le fil à tout le monde. Donc si nous on a une capacité de 1200 tonnes l’année, il faut déjà comprendre que nous on a qu’une petite part dans les 5%

Si vous n’avez que 5%, quelle est votre capacité de production ?

La capacité réelle de production ne change pas, parce qu’on ne reçoit que le fil. Si on a 1200 tonnes de fil par an, on ne peut produire que 1200 tonnes de fil. Mais on peut produire plus. Voilà pourquoi nous disons qu’il faut associer les acteurs. Il faut qu’on ait de l’accompagnement car, c’est une entreprise jeune. Dans ses projections, c’est d’agrandir la capacité de production. Si nous sommes accompagnés et qu’il y a de la ressource humaine, il ne doit pas avoir de problème.

Avez-vous autres choses à ajouter pour clore cet entretien ?

C’est d’abord remercier tous ceux qui sont dans le domaine de la transformation, ensuite souhaiter le retour de la paix au pays. Nos pensées vont à l’endroit des FDS et des VDP ainsi qu’à toutes les populations qui sont victimes de cette insécurité.

 

 

Ibrahim Sory Traoré, directeur technique de COTEXA

 

By Ib_Z

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